C’est (encore) l’économie, idiot!
Le lancement de la campagne électorale fédérale canadienne de 2025 a donné le coup d’envoi à l’une des batailles politiques les plus imprévisibles et déterminantes de l’histoire moderne du pays. Et le monde entier a les yeux rivés sur nous. Il y a à peine quelques semaines, le Parti libéral du Canada semblait vivre ses derniers jours au pouvoir après près de dix ans de règne, accusant un retard considérable sur le Parti conservateur. Toutefois, la démission de Justin Trudeau le 6 janvier et l’arrivée de Mark Carney à la tête du Parti ont complètement changé la donne. Ce qui paraissait impensable il y a deux mois est devenu réalité : les libéraux mènent désormais dans les intentions de vote et sont en bonne posture pour remporter l’élection.
Pourquoi le Canada a changé de cap aussi rapidement
D’abord, la fatigue envers Trudeau représentait le plus grand atout des conservateurs. Les sondages des dernières années montraient une baisse constante de sa cote de popularité, avec de nombreux Canadiens en quête de changement. Par défaut, le Parti conservateur de Pierre Poilievre est devenu le principal véhicule de ce désir de renouveau. Cependant, avec le départ de Trudeau et l’arrivée d’un nouveau chef, cet avantage s’est estompé. Il vaut la peine de se demander si l’engouement envers Poilievre reposait uniquement sur cette lassitude envers Trudeau… ou sur autre chose?
Deuxièmement, un élément imprévu (ou peut-être que certains l’avaient vu venir) : Donald Trump. Sa campagne de réélection aux États-Unis est passée de spectacle médiatique à menace existentielle pour le Canada. Sa rhétorique agressive — incluant des menaces de « guerre économique » contre le Canada, des propos sur le fait de faire du Canada le 51e État américain, et des décrets imposant des tarifs douaniers sur les exportations canadiennes — alimente les inquiétudes liées à une instabilité économique. En fait, plusieurs économistes de renom ont déjà averti que ces mesures pourraient entraîner le Canada en récession.
Alors que le pays est confronté à l’une des menaces économiques les plus sérieuses de son histoire moderne — et que son plus proche allié devient soudainement son principal adversaire économique — cette élection dépasse désormais le simple choix d’un premier ministre : il s’agit de choisir un chef capable de défendre le Canada dans une arène mondiale de plus en plus hostile.
Les Canadiens connaissent maintenant les deux grands bouleversements qui ont chamboulé la dynamique électorale : le changement de leadership chez les libéraux, de Trudeau à Carney, et l’instabilité provoquée par le retour de Donald Trump qui unit les Canadiens face à une menace commune. En creusant davantage dans les perceptions de l’électorat, on découvre comment ces changements influencent les électeurs.
La grande question électorale : Qui saura tenir tête à Trump ?
Au début de toute campagne électorale, les analystes politiques tentent d’identifier « la question du scrutin » — soit l’enjeu qui risque de déterminer l’issue du vote. En 2025, cette question est claire : Quel chef est le mieux préparé pour défendre le Canada face à Donald Trump?
Chez Tactix, nous utilisons des outils d’analyse fondés sur l’intelligence artificielle et le DeepLearning qui nous permettent de capter, en temps réel, les tendances dans les conversations et les discours publics en ligne. Notre plus récente recherche révèle deux tendances majeures:
Les Canadiens voient cette élection comme un référendum économique. Parmi tous les enjeux susceptibles de préoccuper les Canadiens, la menace imminente des tarifs imposés par Trump et ses conséquences économiques dominent les discussions. Près du tiers des conversations nationales en ligne expriment des frustrations et de l’incertitude à ce sujet (voir Figure 1). Il s’agit d’un revirement important comparé au mois d’octobre, où l’accessibilité au logement dominait le débat, un enjeu cité dans une discussion sur quatre. Certes, l’abordabilité du logement demeure un enjeu constant qu’il ne faut pas négliger dans le contexte actuel, mais l’incertitude économique liée aux tarifs douaniers a soudainement pris le dessus. Les pics importants dans la tendance d’engagement — l’un à la fin janvier, l’autre à la fin février — démontrent une inquiétude croissante du public à propos des tarifs (voir Figure 2).
Figure 1 : Enjeux de préoccupation pour les Canadiens entre novembre 2024 et mars 2025 (Les outils de recherche auxquels Tactix est abonné ont analysé plus de 1 million de conversations en ligne de Canadiens)
Figure 2 : Tarifs vs abordabilité du logement : tendance comparative mensuelle (Les outils de recherche auxquels TACTIX est abonné ont analysé plus de 1,2 million de conversations en ligne de Canadiens)
Sous la surface, les électeurs s’inquiètent de la viabilité du pays, alors que la pression s’intensifie sur les relations commerciales avec les États-Unis, l’économie, le coût de la vie et les pertes d’emplois potentielles. Dans nos observations, 93 % des Canadiens expriment des craintes quant à la résilience du pays face aux pressions découlant des tarifs. Les gens discutent des effets que cela pourrait avoir sur leur emploi, leur pouvoir d’achat et leur sécurité économique à long terme. On peut s’attendre à ce que les partis politiques adaptent leurs messages en conséquence jusqu’à la fin de la campagne.
Leçons de 1992: c’est encore l’économie, idiot !
Lors de l’élection présidentielle américaine de 1992, le stratège politique James Carville avait lancé cette phrase devenue célèbre : « It’s the economy, stupid ». Son message à l’équipe de campagne de Bill Clinton était simple : concentrez-vous sur l’économie, car c’est ce qui importe le plus aux électeurs, et ce qui pourrait nous faire gagner. Dans le contexte de la guerre tarifaire actuelle et de la manière dont elle est instrumentalisée par Donald Trump, tout commence par l’économie… mais les choses ne s’arrêtent pas là. Les Canadiens ont compris qu’un véritable chantier d’édification de la nation les attend, qu’une économie plus indépendante des États-Unis et plus résiliente en est une composante essentielle.
Au Canada, les conservateurs ont d’abord voulu faire de cette élection un référendum sur le changement contre la continuité. Mais avec le retour de Trump et la menace croissante pour la stabilité économique du pays, l’enjeu principal n’est plus le même. Cette élection sera remportée par le leader qui saura convaincre les électeurs qu’il est le mieux placé pour tenir tête au président américain, défendre les intérêts économiques du Canada et préserver son indépendance.
Beaucoup d’incertitudes demeurent dans cette campagne, mais une chose est certaine : la clé de la victoire passe, encore une fois, par l’économie.